Ambition France Transport — Notre cahier d'acteur

Dans le cadre de la conférence Ambition France Transport, nous avons tenu à contribuer aux discussions sur les financements du rail et réaffirmer notre opposition au GPSO.

L'ensemble du texte ci-dessous est une transcription de notre cahier d'acteur que vous pouvez télécharger ci-après. Pour contexte, ces cahiers sont normés et ont des tailles de textes définies.

GPSO - Un gouffre financier, un budget non maîtrisé.

Une contribution portée par l'association LGVEA, association ayant e pour but principal de mettre en commun les connaissances, ainsi que les ressources intellectuelles et matérielles de ses membres, pour agir dans tous les domaines où il peut y avoir atteinte ou vivant, à l'environnement et au cadre de vie sur le territoire.

En bref

Depuis 20 ans, la politique ferroviaire française reste centrée sur la grande vitesse, malgré des gains de plus en plus marginaux et des coûts exorbitants. Le projet du Grand Projet ferroviaire du Sud-Ouest (illustration 1), estimé à plus de 14 milliards d’euros (potentiellement 20 milliards en coûts réels), illustre parfaitement cette dérive.

Les collectivités locales, fortement sollicitées pour cofinancer ce projet, sont engagées sans garantie sur les surcoûts ni sur la participation de l’Union européenne. Le protocole de financement prévoit qu’elles assument les aléas budgétaires et les éventuelles défaillances d’autres financeurs, dans une logique de solidarité à sens unique.

La mise en place d’une Taxe Spéciale d’Équipement (TSE) crée une fiscalité locale injuste : elle fait contribuer des territoires éloignés des bénéfices attendus de la LGV. Cela détourne durablement des ressources pourtant indispensables au développement des transports du quotidien (TER, gares, lignes secondaires).

Ce financement déséquilibré s’ajoute à une évaluation du projet entachée de prévisions irréalistes de fréquentation, souvent dénoncées par la Cour des comptes. Les partenariats public-privé (PPP), évoqués comme solution alternative, sont eux aussi porteurs de risques majeurs : opacité, rigidité contractuelle, socialisation des pertes et privatisation des bénéfices.

Nous appelons à un changement de cap : une réaffectation des crédits vers les mobilités du quotidien, mieux réparties, moins carbonées, réellement utiles et attendues

Votre contribution

Un financement déséquilibré et incertain

Le plan de financement du projet GPSO, d’un coût estimé à 14 milliards d’euros courants pour la phase 1(valeur de référence 2020), n’est toujours pas bouclé. Il manquerait au minimum 1,5 milliard d’euros (illustration 2), sans compter la part non confirmée de l’Union européenne non signataire direct du protocole (à date contribution de 490 millios d'euros sur les 2,8 milliards attendus).
En signant le protocole de financement, les collectivités locales s’engagent à couvrir les surcoûts éventuels, les retards ou l’absence de financement d’autres acteurs. En somme, elles deviennent coassureurs d’un projet à rentabilité incertaine.

Ainsi, le 13 novembre 2024, un pôle de 7 parlementaires girondins de toute tendance politique confondue demande un moratoire et une nouvelle évaluation des AFSB qui soit indépendante de SNCF Réseau.
En effet, le pôle parlementaireconstate et dénonce des erreurs qu'il qualifie "abyssales" dans les prévisions de fréquentation et soulève le conflit d'intérêt puisqu'elle est directement intéressée à la réalisation du projet (les frais de MOA et de MOE dépassant les 100 M€ pris en charge dans le plan de financement).

Par ailleurs, le pôle parlementaire souligne les fortes augmentations, à la fois du coût du projet de 613 à 900 M€ (+47%) et de la contribution des collectivités territoriales dans le financement qui a été multipliée par 3,4, passant de 107 M€ à 360 M€.

Les grands projets ferroviaires comme les LGV s’appuient systématiquement sur des projections de fréquentation gonflées et des budgets volontairement sous-évalués pour masquer leur fragilité économique. Cette double distorsion récurrente entre prévisions et réalités" permet de faire passer politiquement des projets qui seraient inacceptables s’ils étaient présentés avec des chiffres honnêtes. Résultat : les coûts explosent, les usagers ne suivent pas, et la collectivité paie l’addition.

Une fiscalité locale détournée

La Taxe Spéciale d’Équipement (TSE), nouvel impôt injuste imposé à des territoires déjà fragiles, sans lien direct avec les bénéfices du projet. Ce prélèvement fiscal pour 40 ans aura un effet durable d’éviction de ressources publiques locales aux dépens du développement, pourtant impérieux, de solutions de transport publics de proximité qui manquent précisément aux populations périurbaines et rurales qui se voient contribuer pour ces LGV. Pour les ménages aquitains et occitans fiscalisés, ces impôts locaux détournés pour le financement de LGV constituent une entorse caractérisée aux principes de nécessité, d’égalité et de destination locale des taxes locales, qui doivent justifier toute création d’impôt. Par ailleurs, le critère retenu pour déterminer les contribuables assujettis à la TSE est arbitraire.

L’un des principes fondamentaux de la fiscalité locale est le lien direct entre la contribution du citoyen et l’amélioration de son cadre de vie. Or, la TSE LGV rompt ce contrat : elle détourne l’impôt local pour financer une infrastructure à grande vitesse dont l’essentiel des bénéfices profitera à une minorité d’usagers longue distance, souvent issus des grandes métropoles. À l’inverse, une réaffectation de cette fiscalité au service de projets locaux concrets, visibles (illustration 3) et d'intérêt général redonnerait du sens à l’impôt local : réouverture de lignes régionales, fiabilisation des TER, modernisation des gares rurales, ou électrification des petites lignes.

De nombreuses collectivités ont déjà établi des priorités de mobilité locale, mais manquent cruellement de moyens pour les mettre en oeuvre. Les efforts financiers et la fiscalité doit servir à renforcer le plan national ferroviaire et être mis au service des territoires et des usagers du quotidiens plutôt qu’au bénéfice d’acteurs économiques déjà privilégiés.

Des alternatives crédibles et efficaces

Le projet GPSO prévoit une dépense d’au moins 14 à 15 milliards d’euros, dont une large part sera financée par les collectivités locales via la TSE et des subventions directes. En comparaison, la rénovation de centaines de kilomètres de lignes régionales — lignes structurantes ou de desserte fine — pourrait être financée avec une fraction de cette somme, tout en bénéficiant directement à des millions de voyageurs du quotidien. Les chantiers et les pistes d’investissements ne manquent pas :

  • La remise à niveau complète de dizaines de lignes régionales (voies, signalisation, gares),
  • Le renouvellement du matériel roulant sur plusieurs régions,
  • La modernisation de technicentres essentiels à la fiabilité des trains,
  • La création ou la réouverture de liaisons locales aujourd’hui suspendues.

Ces crédits doivent être réaffecter vers les infrastructures ferroviaires existantes, avec priorité aux lignes régionales et interrégionales délaissées. Les lignes régionales sont moins énergivores, émettent moins de CO₂, et sont souvent sous-exploitées faute d’investissement, alors qu’elles constituent un levier majeur de décarbonation des mobilités.

Rénover vaut mieux que reconstruire, d’autant plus que l’impact écologique des chantiers LGV est massivement sous-estimé. Les effets de ces investissements seraient bénéfiques et immédiats sur plusieurs aspects:

  • Augmentation de la fréquence et de la régularité des TER,
  • Renforcement de la résilience ferroviaire,
  • Réduction de la dépendance à la voiture, en particulier dans les territoires périurbains et ruraux,
  • Création d’emplois non délocalisables dans l’industrie et les travaux publics ferroviaires.

Les partenariat public/privé: une solution à haut risque pour les collectivités et les contibuables

Alors que GPSO peine à trouver les crédits nécessaires à sa réalisation et à convaincre par son utilité réelle, son impact environnemental dévastateur et son coût faramineux (plus de 14 milliards d’euros), l’idée d’un financement par partenariat public-privé (PPP) refait surface. Cette solution, qui peut paraître séduisante en apparence, s’avère en réalité inadaptée et dangereuse pour les finances publiques, la transparence démocratique et l’intérêt général.

Le recours à un partenariat privé public ne ferait qu’aggraver le déficit de confiance en rendant encore plus opaque un projet contraire à l’intérêt général. Ce mode de financement présente des risques majeurs : coût, opacité, rigidité contractuelle pour les finances des collectivités et ferait porter le poids économique du projet pour les contribuables qui se sont pourtant massivement mobilisés à plus de 90% lors des enquêtes publiques pour dire qu’il ne voulait pas de ce train là.

Une analyse des lignes actuellement en service révèle une rentabilité très inégale, des coûts en forte hausse et un bilan socio-économique souvent décevant. Selon l’IFRAP, « Pour la LGV Atlantique, les coûts d'exploitation ont explosé et sont jusqu'à 5,7 fois supérieurs aux prévisions initiales. Ces prévisions avaient été volontairement sous-évaluées pour faire passer le projet. Le facteur multiplicateur de 5,7 repose sur une comparaison entre les prévisions initiales de SNCF Réseau et les montants réellement versés dans le cadre du contrat de PPP.

L’expérience l’a prouvé et doit nous servir : les PPP finissent souvent par coûter beaucoup plus cher aux finances publiques qu’un financement classique. La rémunération du partenaire privé, les intérêts cumulés sur des périodes longues (30 à 50 ans), les garanties exigées par les investisseurs privés... tout cela alourdit considérablement la facture pour les contribuables. Plusieurs rapports de la Cour des comptes ont dénoncé ces effets pervers dans des projets similaires.

Les contrats de PPP sont par nature complexes et opaques. Leur élaboration échappe souvent au contrôle démocratique, et les citoyens comme les élus locaux sont mis devant le fait accompli. Ce projet est déjà entaché d’un manque de transparence sur les études d’impact et les coûts réels. La rentabilité d’une LGV repose en grande partie sur la fréquentation. Or, de nombreuses lignes souffrent d’un écart important entre les prévisions initiales et la réalité observée. Selon un rapport de la Cour des comptes, le trafic moyen des lignes à grande vitesse en ‘régime de croisière’ est inférieur de 24 % aux estimations.

Cet écart compromet gravement la rentabilité des investissements engagés.
Contrairement à des infrastructures très rentables, le GPSO ne garantit pas une fréquentation suffisante ni des revenus assurés à long terme. Cela signifie que le partenaire privé demanderait des garanties publiques élevées, des clauses de « paiement à disponibilité », voire des subventions indirectes déguisées, ce qui reviendrait in fine à socialiser les pertes tout en privatisant les gains.

La question de l'efficacité environnementale ne peut être occultée au regard des enjeux climatique et de la préservation de la biodiversité, or celle des PPP dans les grands projets d'infrastructure comme les LGV est remise en question au regard de la logique principale de rentabilité financière et de leur rigidité s'agissant de contrat longue durée.

Un PPP enferme les pouvoirs publics dans des engagements contractuels lourds, parfois pour plusieurs décennies. En cas d’évolution des besoins de mobilité, de changements climatiques, ou de crise budgétaire, l’État et les collectivités se retrouveraient pieds et poings liés, incapables de réorienter la politique des transports en fonction de l’intérêt général. Cette rigidité serait nuisible à la gestion publique. L’écart entre les promesses initiales et les résultats effectifs remet en cause la soutenabilité du modèle. Dans ce contexte, la priorité devrait être donnée à l’entretien et à la modernisation des lignes classiques, aux trains du quotidien et à une approche rigoureuse des investissements publics. Les projets LGV ne doivent plus être décidés sur des bases politiques, mais sur des critères de rentabilité, d’efficacité environnementale et d’utilité sociale.

Conclusion

Les grands projets de LGV absorbent des ressources colossales pour des bénéfices limités, une stratégie alternative, fondée sur la modernisation du réseau existant, permettrait des résultats concrets, rapides et équitables, au service de la majorité des usagers. L’argent public doit être fléché vers les transports du quotidien, en cohérence avec les objectifs climatiques, les besoins sociaux et l’efficacité économique.

La modernisation du réseau existant est une alternative crédible, rapide, équitable. Il est nécessaire d’exiger une transparence complète et refuser que des projets d'intérêt national soient financés à plus de 40 % par les collectivités locales sur les coûts réels des projets LGV, souvent sous-estimés en phase amont. La TSE doit être supprimée.

Le recours à un partenariat public-privé pour financer le GPSO est non seulement inopportun, mais profondément risqué. Il ne constitue en rien une réponse responsable à la crise des transports. Il incarne au contraire une fuite en avant financière et politique, au profit d’intérêts privés et au détriment de l’avenir commun. Nous demandons une révision complète du projet GPSO, et un moratoire sur sa mise en oeuvre tant qu’aucune évaluation indépendante, transparente et actualisée n’a été menée.

Le présent cahier d’acteur, porté par l’association LGVEA, propose une alternative crédible, pragmatique et soutenable à la fuite en avant technocratique incarnée par le GPSO. Nos propositions visent à réaffecter les crédits publics vers les mobilités du quotidien, afin de répondre aux besoins réels des usagers et de construire une transition écologique et sociale juste.

Nous demandons :

  • La suspension immédiate des travaux AFSB et une évaluation indépendante et transparente du GPSO
  • La suppression immédiate de la TSE
  • Une réaffectation des crédits LGV vers les lignes du quotidien
  • Un moratoire sur tout engagement contractuel de type PPP
  • Une gouvernance partagée et respectueuse des territoires