Faire financer le train par le privé : une fausse bonne idée.

" Notre modèle de financement des infrastructures de transport est à bout de souffle " déclarait le 5 mai dernier le Premier ministre. C'est dans ce cadre qu'a été lancée Ambition France Transports, une grande conférence visant à réfléchir sur les modes de financement de tous les transports en France.

Une conférence pour faciliter l'appel au privé

Organisé en plusieurs ateliers (lien externe) visant à définir de nouvelles méthodes de financement pour les différents types de réseau de transport existant, la conférence fait un bel appel du pied au secteur privé. Une journée de travail thématique a été consacrée le 12 juin dernier à "la mobilisation et à l'expertise des acteurs privés" au ministère de l'Économie à Paris Bercy.

Lors de ce grand évènement, nombreuses ont été les paroles bienveillantes et encourageantes envers les Partenariats Publics Privés (PPP). Pour contextualiser, ces partenariats sont une manière de produire des projets de grande ampleur publique en déléguant leur fabrication et parfois une partie de leur exploitation à des entreprises privées. C'est, par exemple, le cas de la ligne à grande vitesse Tours-Bordeaux qui a été réalisée grâce à des investissements privés et qui est aujourd'hui détenue et exploitée par Liséa, une compagnie appartenant à la Caisse des Dépôts et Vinci, entreprise aussi connue pour être l'exploitant de plusieurs autoroutes de l'Ouest au Sud de l'Hexagone. 

Dans l'article de la Banque des Territoires (lien externe) relatant cette journée, on y trouve le plaidoyer du ministre des Transports Philippe Tabarot qui a l'air déjà bien arrêté sur la question des financements des infrastructures de transport en s'exclamant : "Il est indispensable d'améliorer les montages permettant de mobiliser efficacement les financements privés".

Durant cette journée, d'autres acteurs comme le PDG de SNCF Réseau ont encensé ce modèle pour qui il y avait des retours très positifs. Pourtant, sur la seule expérience du trajet de train Paris-Bordeaux, les tarifs des péages ferroviaires sont tels qu'ils se répercutent sur le prix du billet final. Au grand dam des voyageuses et des voyageurs qui bien souvent ne connaissent pas cette société où le nom n'est affiché nulle part.

Le voyageur il ne connaît pas Lisea, alors il crie sur la SNCF, il dit 'vous êtes trop chers', mais la SNCF est trop chère sur le 'Paris-Bordeaux' car le prix des péages de Lisea est excessivement cher

Fabien VilledieuSecrétaire fédéral SUD-Rail

Les PPP, une gabegie économique pour les citoyens, un filon d'or pour les très grandes entreprises.

Si l'on écoute les responsables politiques, les responsables des grandes entreprises du BTP et les responsables des grandes entreprises de transport et d'infrastructure, les PPP sont des outils merveilleux pour investir et développer des grands projets structurants dans l'aménagement du territoire. Pourtant, ces projets, bien qu'alléchants pour des collectivités locales ou des États en manque d'argent, sont de véritable gouffres financiers à long terme qui participent à rendre marchand ce qui auparavant était public.

C'est en particulier un rapport de 2018 de la Cour des Comptes Européenne (lien externe) qui pointe ces effets avantageux à court terme mais très "contraignants" à long terme. Dans un article de la Gazette des Communes, le journaliste Jean-Marc Joannès nous détaille que "La majorité des PPP audités ont pâti d'un manque considérable d'efficience, qui s'est traduit par des retards de construction et par une forte augmentation des coûts. En tout, sept des neuf projets achevés (dont le coût total s'élevait à 7,8 milliards d'euros) ont accusé un retard, compris entre deux et 52 mois.".

Déjà en 2015, la Cour des Comptes alertait (lien externe) également sur les "fortes contraintes à long terme" que pouvaient générer les Missions d'Appuis aux Partenariats Publics Privés (MAPPP, un ancêtre des PPP). Le rapport concluait alors : "il convient donc de ne pas faire de cet outil dérogatoire un
instrument financier détourné de ses objectifs initiaux, qui permettrait notamment aux collectivités de s’affranchir à court terme des contraintes budgétaires et comptables et de différer dans le temps le coût et la charge de certains investissements."

Pour un transport public du rail gérée par et pour les territoires.

Alors que la conférence Ambition France Transports prendra fin vers l'été 2025, nous pouvons presque vous prédire certaines de leurs propositions novatrices et ambitieuses pour financer le rail. Recours accru aux Partenariats Publics Privés, versement d'une part des recettes des péages autoroutiers vers le rail... Bref, le concours Lépine pour trouver autre chose que d'autres recettes ou une réaffectation intelligente de nos dépenses publiques vers des secteurs essentiels, comme le transport ferroviaire en général.

L'association LGVEA, qui alerte depuis plusieurs décennies sur le poids financier des lignes nouvelles et des aménagements au sud de Bordeaux et au nord de Toulouse, appelle notamment à la fin de ces projets qui manquent de sens et qui auront un coût non négligeable sur le portefeuille des citoyens pour les temps à venir. Nous appelons aussi à ce que les crédits engagés, prévus à ce Grand Projet du Sud Ouest soient réaffectés dans le développement et la régénération des lignes territoriales du quotidien, au renouvellement ou à l'augmentation des TER et des liaisons des petites villes.

Enfin, nous croyons que les réseaux de transports et l'aménagement du territoire ne peuvent pas se faire et s'organiser sans qu'il y ait une gouvernance plus importante des citoyennes et des citoyens. De manière plus claire, si la population ne fait que subir les décisions métropolitaines de quelques-uns, alors nos futurs aménagements créeront des problèmes structurels mettant à mal notre capacité de vivre dignement dans nos villages.

Acronymes et autres termes utilisés

Partenariat Public Privé. Forme de contrat entre des acteurs publics et privés permettant de faire peser à court terme des efforts financiers sur des projets de grande envergure par l'investissement d'acteurs privés.

Mission d'appui aux partenariats publics privés. Ancêtre des PPP, utilisés surtout par les collectivités locales.

La Caisse des dépôts et consignations et ses filiales constituent un groupe public au service de l'intérêt général et du développement économique du pays. Ce groupe remplit des missions d'intérêt général en appui des politiques publiques conduites par l'État et les collectivités territoriales et peut exercer des activités concurrentielles. - Wikipedia (lien externe)

La Banque des territoires est une direction de la Caisse des dépôts et consignations créée en mai 2018[1]. Elle regroupe les offres de la Caisse des dépôts et de ses filiales (Société centrale pour l'équipement du territoire - SCET, CDC Habitat) au service des territoires. Son site web est dévoilé le 20 novembre 2018, lors de la 101e édition du Salon des maires et collectivités locales. Son bilan est jugé « encore limité » par la Cour des comptes, quatre ans après sa création. - Wikipedia (lien externe)

La conférence Ambition France Transport est un regroupement de plusieurs groupes de travail dans lesquels responsables politiques, entreprises et quelques associations discutent et proposent de nouvelles manières de financer les transports publics au sens large.